Le mot « temps » dans la langue française, nous fait penser au temps qu’il fait ou au temps qui passe.
C’est le contexte qui nous mettra sur la voie de ce qu’il vient désigner.
Les mots weather et time qui nous aiguillent en anglais, se mélangent en français, et c’est le récit qui donnera des indices – bien que parfois il faille préciser de quelle acception du mot temps on parle.
Ici, il est question du temps dans son sens de durée d’un accompagnement psychothérapeutique.
Combien de temps dure une thérapie en Gestalt ?
Cette question m’est souvent posée au cabinet : combien de temps dure un accompagnement en Gestalt-thérapie ?
« Si je mets un pieds là-dedans, ça va durer des années », « Je veux juste aller bien » – sous-entendu dès que ça va mieux, j’arrête.
« Ça va me couter cher ».
La curiosité ferait poser la question du couter cher : est-ce que ça coute cher de regarder en soi ? Est-ce un risque ? Quelle forme a le désir d’aller mieux ?
Oui, on peut penser que ça peut couter cher de se pencher sur son histoire, en termes de souffrance émotionnelle, particulièrement. Le désir de ne pas revivre le douloureux est respectable.
Là aussi, le temps fait son travail. Depuis ma place de thérapeute je ne sais pas non plus combien de temps va durer cet accompagnement.
Les thérapies brèves sont attirantes sur cette question de la durée.
Mais peut-être faut il prendre le temps d’entrer dans son histoire pour mieux se connaitre et de sortir des répétitions.
« Ça va me couter cher ».
L’aspect financier peut poser une difficulté et les prises en charge ne sont pas légion.
Pour la Gestalt-thérapie il existe tout de même des mutuelles qui remboursent un nombre de séances en cabinet.
Cette question est abordée en cabinet, la fréquence de nos rendez-vous, le tarif, ce sont des conditions qui coconstruisent notre accord, et celui-ci peut être revisité à chaque fois que cela est nécessaire.
Le temps de la jeunesse et le temps de la maturité
Il me semble aussi que le temps n’est pas le même suivant les périodes de la vie.
Une jeune personne, axée sur une problématique, va la creuser, se fortifier en thérapie, pour repartir expérimenter, vivre sa vie, sans s’encombrer des sujets sous-jacents qui ont pu pointer leur nez.
Plus tard, des étapes de vie -parentalité, maladie, séparation, vieillesse… – vont faire apprécier ce temps, qui autorise un dépliement dans la durée, avec les retrouvailles, les événements, les répétitions, afin que nous soyons à l’endroit qui demande le plus d’attention, qui demande de créer de la nouveauté.
Les séances sont des rencontres
Les séances sont des rencontres où se déroulent un processus de dévoilement. Le mot dit bien « lever le voile ». Faire rencontre. Se révéler peu à peu, séance après séance.
C’est pourquoi il (nous) faut un peu de temps entre client·e et thérapeute…
Une durée non déterminée, qui permette de faire connaissance, de voir-entendre-sentir se dessiner les contours d’une vie, ses beautés et ses accidents, ses recherches et ses façons de poser un pas derrière l’autre.
Le temps seul permet de révéler les méandres et les lieux de tensions, d’anxiété, de brisures, tout comme les espaces de réparation, les moments qui demandent du soutien, de la valorisation, où je peux partager ce que je vois depuis ma colline.
Que ce soit une anxiété, des angoisses, une perte de sens, une relation difficile avec un parent, une charge excessive qui pèse, une maladie, un burn-out, une séparation douloureuse… chaque personne a sa façon de révéler ce qui trouble le cours des choses pour elle.
Comme thérapeute, je me rends curieuse de votre vision de la vie, de votre vie.
Comment est-ce dans votre monde ? Comment est-ce de voir la vie par vos lunettes ?
Le temps est un allié.
Le temps est précieux.
Il arrive qu’émergent des aspects insoupçonnés de la vie d’une personne, longtemps après le début d’un accompagnement. Un chemin plus court entre nous n’aurait pas permis de faire réapparaitre ces événements au fil de la thérapie.
Tout cela avait besoin de ce temps-là !
Le lit de l’alliance thérapeutique est sensible pour nous deux, il y a de la confiance, et un jour, une nouvelle porte peut s’ouvrir sur un pan de vie.
Ce qui émerge peut venir surprendre presque autant le ou la cliente que moi. Mais ce qui est abrupt n’est pas reçu de façon abrupte : il y a un espace d’ouverture, de respect, d’écoute, qui s’est construit et qui permet autant de déposer, que de recevoir.
Le cadeau de l’écoute
Quand la porte s’ouvre, c’est un cadeau, que la personne se fait, qu’elle me fait, que nous nous faisons.
Cette personne se fait ce cadeau : elle verbalise, elle cesse d’être seule.
Elle me fait un cadeau : je reçois un pan d’histoire qui vient renvoyer des éclats de lumière sur d’autres aspects de son histoire, me la rendre différemment et plus pleinement compréhensible.
Nous nous faisons un cadeau : nous avons du commun, nous sommes ensemble à vibrer au récit, ensemble à résonner et éviter de raisonner.
Ces parts blessées ont besoin d’être entendue, vues, et considérées. C’est aussi du temps qu’il nous faudra pour aller les regarder et faire naitre, pas à pas, des espaces de réhabilitations.
Le temps peut faire peur au début d’un accompagnement, c’est compréhensible.
Par quel chemin est-ce que ces rencontres sont censées passer ?
Y en a-t-il un plus court ?
Le temps pris ensemble dans la régularité des rencontres permet de faire émerger des liens dans les relations passées, familiales, amicales, amoureuses ou de travail. La première demande, celle qui fait entreprendre un accompagnement est quelques fois très bien reliée à un sujet plus couvert, qui demande à voir le terrain de la thérapie avant de se révéler.
Le temps de se rendre disponible pour sentir ce qui est là
Le temps a aussi cette vertu de permettre de sentir l’atmosphère qui flotte, là, entre nous.
Cet entre-nous possède une certaine texture. Si elle est ressentie souvent immédiatement de part et d’autre, elle prend un certain temps à se traduire en termes de mots, d’expressions, d’images.
À ce moment-là « être avec ce qui est » est précieux. Suspendre la pensée automatique pour prendre le temps de rester ouvert, simplement là, n’est (justement) pas simple. Pas habituel.
Notre société est si souvent soumise à un rythme de rendement, d’occupation permanente, d’efficacité. Le temps manque pour faire pause.
Le temps manque pour prendre le temps.
La Gestalt-thérapie se nourrit de la phénoménologie de Husserl[1], et fait référence à la réduction phénoménologique, l’épokè, qui consiste à « mettre entre parenthèses » tout jugement, suspendre toute idée ou toute affirmation préconçue concernant le monde.
Et bien sûr, cela introduit une rupture avec nos attitudes premières, « naturelles », celles de projeter ce que nous savons du monde sur ce que nous vivons à l’instant T.
Ce temps de thérapie dure… le temps qu’il doit.
Projeter sur la durée fait partie des élaborations qui se trament en dehors du cabinet, et parfois dans le cabinet.
Prendre le temps de sentir, de remettre en question cette durée même, pourquoi pas, prendre le temps de ralentir, de soupeser ce qui est juste pour soi, prendre le temps de s’engager – avant, peut-être, de se désengager.
Prendre le temps.
Ensuite, le temps fera son travail. Il est un allié.
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[1] Edmund Husserl, philosophe allemand du 20e siècle (1859-1938), fondateur de la phénoménologie.